Le Préjudice Passé

Le Préjudice Passé

En dehors des frais, l'évaluation des différents postes de préjudice s'établit en distinguant le préjudice passé (avant la consolidation, c'est-à-dire la date à partir de laquelle les séquelles ne sont plus censées évoluer) du préjudice permanent (après la consolidation). Pour la facilité de l'exposé, les différents postes sont également scindés entre préjudices d'ordre matériel (économiques) et préjudices d'ordre moral (non économiques).


LES PREJUDICES D'ORDRE MATERIEL
La perte de rémunération
Il s'agit des pertes de revenus subies pendant les incapacités temporaires. En cas de victime salariée, ces pertes seront en général représentées par la différence entre la rémunération habituelle et les allocations de la mutuelle. En toute hypothèse, ce poste doit être établi sur base de documents probants (avertissements extraits de rôle) établissant la réalité des pertes financières.
Le retard dans la carrière
Si la progression de la carrière de la victime a été retardée à cause des séquelles liées à l'accident, une indemnisation peut être postulée à concurrence des avantages perdus et en tenant compte de la période dudit retard.
Les efforts accrus
Il s'agit des efforts de la victime pour reprendre ou poursuivre ses activités professionnelles pendant les périodes des incapacités temporaires mais à l'exception des périodes d'incapacité totale où, par définition, il n'y a pas d'activité.
A l'heure actuelle, l'évaluation se fait majoritairement de manière forfaitaire sur la base, préconisée par le nouveau tableau indicatif, de 20 € / jour à 100% et cela concerne tous les jours calendrier, en ce compris les vacances, week-ends et jours fériés.
Ceci étant, même le nouveau tableau indicatif précise que le forfait préconisé concerne les cas "qui ne peuvent pas être évalués in concreto".
L'évaluation in concreto se fait alors sur base de la rémunération.
Diminution de la capacité économique (potentiel énergétique)
En cas d'absence d'activité professionnelle pendant les incapacités temporaires, il est généralement refusé d'indemniser un préjudice économique pendant cette période.
Cependant, lorsque les médecins n'ont pas limité les répercussions des lésions sur les seules activités ménagères et actent qu'il s'agit bien d'incapacités et non pas de simples invalidités, la diminution du potentiel énergétique de la victime pendant ces périodes resterait sans la moindre indemnité.
Cette absence d'indemnisation devient d'autant plus difficile à admettre lorsqu'il y a recherche d'emploi où la victime est indiscutablement affaiblie dans ses efforts de trouver un emploi et/ou voit tout simplement son capital énergétique amoindri dans le cadre par exemple de ses activités extraprofessionnelles.
De manière plus générale, cela concerne les tâches de la vie quotidienne, et ce, indépendamment d'une quelconque perte de rémunération, du préjudice ménager, et du dommage moral ;
L'existence d'un préjudice matériel durant les incapacités temporaires, indépendant de toute perte de rémunération et distinct du préjudice ménager et du dommage moral a déjà nété illustré par plusieurs décisions de justice.
Le décompte de ce poste de préjudice s'établit sur base d'un montant journalier correspondant à la capacité économique de la victime et tient compte de la description, très souvent dégressive, des incapacités temporaires.
A toute fin, il ne semble pas inutile de noter que l'évolution de la matière tend dans un avenir proche vers le remplacement des deux notions classiques d'incapacité et d'invalidité par trois notions un peu plus précises à savoir, concernant les incapacités temporaires, l'incapacité personnelle temporaire, l'invalidité ménagère et l'incapacité économique temporaire.
Cette manière de faire devrait normalement répondre adéquatement au souci d'évaluation précise de la diminution du potentiel énergétique.
Le préjudice ménager
En cas de recours à une aide mercenaire pour l'accomplissement des taches ménagères pendant toute ou une partie de la période des incapacités temporaires, le coût de ladite aide, pour autant qu'il ne soit pas disproportionné aux tarifs usuels du marché, devra être remboursé à la victime.
En cas d'absence de tels éléments de preuve et à condition que la réalité du dommage soit mise en évidence (surtout par voie d'expertise ou, en cas d'absence de précision, par des éléments propres au dossier tels que la gravité et la nature des lésions), il est généralement admis d'allouer, forfaitairement et par ménage, 17,50 € par jour à 100% lorsqu'il n'y a pas d'enfant, 25,00 € par jour à 100% en cas de ménage avec un enfant à augmenter ensuite de 5 € par enfant supplémentaire et ce, à condition qu'ils soient domiciliés ensemble et continuent à bénéficier d'allocations familiales.
Quant à la répartition homme femme, il est généralement admis 65% pour la femme et 35% pour l'homme sans préjudice cependant de la possibilité de postuler une autre ventilation en fonction de la situation concrète de chaque ménage.
Il s'agit d'une indemnisation par ménage et non pas par individu.
L'aide d'une tierce personne
L'aide fournie par une tierce personne est considérée par la Cour de cassation comme un préjudice matériel personnel à la victime et, à ce titre, doit être indemnisée.
La jurisprudence décide que le fait que cette aide soit apportée par un membre de la famille n'exonère pas l'auteur de l'accident de son obligation d'indemniser.
Même si la victime n'établit pas qu'elle fait effectivement appel à une aide mercenaire, elle peut avoir droit à la réparation de son préjudice si, en raison de la nature des lésions, cette aide est établie par les experts.
Il convient de ne pas confondre l'aide d'une tierce personne avec le préjudice ménager car, même si en fonction des éléments du dossier l'aide ménagère peut aussi être fournie par une tierce personne, la différence entre les deux préjudices consiste dans le contenu concret de cette aide.
Ainsi, sauf stipulation expresse du rapport et sous réserve des éléments propres de chaque dossier, il sera en général question d'indemnisation distincte de l'aide d'une tierce personne lorsque cette aide concerne des soins personnels à la victime (s'habiller, faire sa toilette, se déplacer etc...) indépendants de l'aide ménagère indemnisée par ailleurs.
Le préjudice esthétique (d'ordre moral/et ou d'ordre matériel)
Le préjudice esthétique peut être défini comme étant l'ensemble des séquelles susceptibles de disgracier la victime.
La manifestation du préjudice esthétique ne se limite pas aux éventuelles cicatrices sur le corps, mais elle est plurielle : outre lesdites cicatrices, il convient de tenir compte des difficultés éprouvées à la marche (boiterie, claudication,...), la marche à l'aide de béquille(s), l'amputation d'un membre, le port d'une prothèse (auditive, dentaire, oculaire,...), les paralysies, voire même l'altération de la voix etc...
De même, le préjudice esthétique ne constitue pas exclusivement un dommage d'ordre moral (le préjudice a essentiellement un impact sur la vie sociale affective et personnelle de la victime), dans la mesure où il peut constituer un préjudice d'ordre matériel, dans l'hypothèse où il engendre des répercussions de nature fonctionnelle (déficiences musculaires, cicatrices douloureuses,...), ou de nature professionnelle, actuelles (altération des fonctions professionnelles exercées au moment de la survenance de l'accident), ou futures (difficultés à trouver un emploi en raison du caractère "repoussant" ou "répugnant" du préjudice).
Un préjudice esthétique temporaire, qu'il soit d'ordre essentiellement moral et/ou matériel, ne fait, curieusement, que très rarement l'objet d'une indemnisation distincte.
Dans le cadre de l'évaluation médicale, hormis, rarement, les cas les plus graves, les médecins experts n'évaluent généralement le préjudice esthétique, qu'à partir de la date de la consolidation, les missions d'expertise médicale ne les invitant au demeurant pas, dans la majorité des cas, à apprécier la manifestation d'un préjudice esthétique durant les périodes des incapacités temporaires.
Il est pourtant indéniable que les séquelles d'un accident sur le plan esthétique se manifestent déjà bien avant la date de la consolidation, au cours de la période qui suit immédiatement la survenance de l'accident.
C'est, au demeurant, au cours de cette période immédiatement consécutive à l'accident, que les stigmates sont les plus visibles et les plus impressionnants.
Pour pallier l'absence de reconnaissance et d'indemnisation d'un préjudice spécifique durant les périodes des incapacités temporaires, il est fréquent, et généralement admis, d'allouer des intérêts compensatoires sur le montant de l'indemnité allouée en principal à titre d'indemnisation du préjudice, non pas à partir de la date de la consolidation, mais à partir de la date de la survenance de l'accident.
Ceci étant, dès lors que l'existence d'un préjudice esthétique qui est subi durant les périodes des incapacités temporaires n'est pas raisonnablement contestable et qu'il n'est pas inséré dans l'indemnisation du préjudice matériel et/ou moral (selon le cas) par une augmentation des valeurs de ces postes, on voit mal pour quel(s) motif(s) le préjudice esthétique ne pourrait pas être indemnisé, à l'instar du dommage moral, de manière distincte durant les périodes des incapacités temporaires (préjudice esthétique temporaire) et à partir de la date de la consolidation (préjudice permanent), plutôt que d'allouer des intérêts compensatoires à partir de la date de l'accident sur l'indemnité allouée en réparation du préjudice esthétique tel que quantifié à partir de la date de la consolidation.
La meilleure voie consiste évidement à inviter expressément les médecins experts, dans la rédaction des missions qui leur sont confiées, à se prononcer relativement à l'existence d'un préjudice esthétique qui se manifeste le cas échéant immédiatement après la survenance de l'accident, et l'évolution de celui-ci dans le temps, au cours des périodes des incapacités temporaires et ensuite à partir de la date de la consolidation.
Dans le cadre de l'indemnisation du préjudice, on tiendra compte, de manière concrète, des facteurs suivants : le sexe de la victime, l'âge de la victime, l'état civil de la victime,..., et, bien entendu, comme exposé supra, des répercussions, tant d'ordre moral que professionnel dans le chef de la victime.
L'évaluation du préjudice esthétique temporaire pourrait, par analogie, se calculer sur base d'une indemnité journalière proportionnelle à l'importance du dommage (une indemnité de 2,50 € par jour et par point est par exemple proposée par Thierry PAPART et Bernard CEULEMANS, in Vade Mecum du Tribunal de Police, 2004, page 305 (301) et, concernant le préjudice esthétique professionnel, des calculs plus précis sont envisageables en fonction de l'activité de la victime et des conséquences de son préjudice.
Observons que certaines décisions ont déjà consacré l'existence du préjudice esthétique temporaire.
La perte d'une année scolaire (d'ordre moral et d'ordre matériel)
Il est particulièrement important que le lien de causalité entre l'accident et la perte de l'année d'étude soit établie par les experts sans par ailleurs exclure la possibilité d'évaluation sous la forme de la perte d'une chance.
Ce préjudice présente trois composantes : le préjudice matériel découlant du coût financier d'une année d'études, le préjudice moral lié à l'échec scolaire et le retard à embrasser une carrière professionnelle.
En cas d'indemnisation forfaitaire, ce qui est très généralement le cas, le tableau indicatif suggère 3.750,00 € pour le préjudice moral indépendamment du type d'enseignement et les montants suivants, par année, pour le préjudice matériel : 390,00 € pour l'école primaire, 1.000,00 € pour tous les types d'enseignement secondaire, 4.300,00 € ou 2.500,00 € (logement chez les parents) pour l'enseignement supérieur et 4.000,00 € (logement en kot) ou 2.000,00 € (logement chez les parents) pour l'enseignement universitaire.
Ces montants n'empêchent évidemment pas une évaluation précise en cas d'éléments probants, tels que le coût d'une école renommé, le coût du logement à l'étranger etc...
Si un retard dans la carrière est établi, il sera en général indemnisé en tenant compte de la rémunération escomptée de la première année d'activité professionnelle.
Enfin, pour autant que de besoin, notons par ailleurs qu'il ne faut pas perdre de vue l'indemnisation des efforts accrus indépendamment de la réussite ou non de l'année scolaire.

LES PREJUDICES D'ORDRE MORAL

Préjudice moral proprement dit
Il s'agit des souffrances morales liées aux séquelles indemnisables qui sont ressentis de manière semblable, car d'intensité similaire, par la majorité des victimes.
L'évaluation s'établit en général sur base de 31 € par jour d'hospitalisation ordinaire, entre 31 € et 37 € en cas d'hospitalisation accompagnée de souffrance inhabituelles et 25 € par jour d'incapacité à 100%, puis de manière dégressive.
Le pretium doloris
En cas de souffrances particulières, les médecins experts actent un préjudice moral distinct, évalué sur une échelle de 1 à 7 et indemnisé à concurrence de 2,5 € par unité et par jour.
La dernière version du tableau indicatif a limité l'indemnisation du pretium doloris aux seules périodes correspondant à plus de 4/7.
En contrepartie, ce même tableau ne suggère plus la diminution à 20 € au lieu de 25 € du forfait du préjudice moral proprement dit, ce qui ne paraît pas constituer une évolution conforme au coût de la vie, d'autant que de nombreux magistrats accordaient déjà 25 € par jour outre le pretium doloris.
Reste actuellement à voir comment les médecins experts réagiront sur le plan de l'évaluation médicale pour déterminer ensuite l'attitude à adopter dans le cadre de l'évaluation financière.
Préjudice esthétique
Cfr développements dans le cadre du préjudice esthétique en cas de répercussion économique.
Le préjudice d'agrément
Il s'agit d'un poste de préjudice que l'on évalue distinctement du préjudice moral dans des cas "exceptionnels". Cela concerne des privations d'activités régulières et, très souvent, permanentes.
Ainsi, ce préjudice est très généralement indemnisé lorsque l'abandon est permanent, sans toutefois pouvoir catégoriquement exclure la reconnaissance d'un préjudice d'agrément temporaire si l'activité était régulière et suffisamment établie, la privation présente un caractère particulier et la demande qui l'accompagne est amplement justifiée.
Préjudices d'ordre sexuel et similaires
Il est généralement indemnisé en cas de séquelles permanentes mais rien n'exclut la possibilité de reconnaître, dans le chef de la victime et/ou de son partenaire éventuellement, avant la consolidation et pour une durée déterminée, un préjudice lié à l'impossibilité d'avoir des rapports sexuels, l'absence de plaisir, l'absence de sensation etc...
En cas de nécessité de traitement, ce préjudice revêt également un caractère économique lié au frais dudit traitement.
S'agissant cependant d'un préjudice reconnu plus souvent comme un préjudice permanent, il sera plus amplement développé infra.

Voir aussi

 
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